Bonjour tristesse : deux extraits marquants du roman phare de Françoise Sagan. Voici deux passages incontournables de ce livre qui a marqué son temps.
Bonjour tristesse (1954) est le premier roman de Françoise Sagan, publié alors qu’elle n’a que 18 ans. Ce court récit, devenu un classique de la littérature française, plonge le lecteur dans l’univers d’une adolescente capricieuse et désenchantée, Cécile, qui passe l’été sur la Côte d’Azur avec son père veuf et volage, Raymond. Leur insouciance est bouleversée par l’arrivée d’Anne, une femme élégante et mature, dont Raymond tombe amoureux. Jalouse et égoïste, Cécile manipule la situation avec l’aide de sa complice, Elsa, pour briser cette relation. Le drame qui s’ensuit révèle la cruauté et la superficialité de Cécile, ainsi que la tristesse qui sous-tend son existence.
Françoise Sagan (1935–2004), de son vrai nom Françoise Quoirez, incarne l’esprit de liberté et de provocation des années 1950. Son style vif, épuré et cynique, marqué par une lucidité précoce sur les sentiments et les relations humaines, a séduit une génération. Bonjour tristesse, symbole de la jeunesse désabusée, lui vaut une célébrité instantanée et le prix des Critiques. Sagan, figure médiatique et controversée, a écrit une trentaine d’œuvres, mais ce premier roman reste son chef-d’œuvre, captant l’essence d’une époque et d’une jeunesse en quête de sens.
Voici deux extraits marquants du livre Bonjour tristesse de Françoise Sagan.
Bonjour tristesse : extraits
1er extrait
Je revins à pas lents, épuisée et engourdie, dans les pins ; j’avais demandé à Cyril de ne pas m’accompagner, c’eût été trop dangereux. Je craignais que l’on ne pût lire sur mon visage les signatures éclatantes du plaisir, en ombres sous mes yeux, en relief sur ma bouche, en tremblements. Devant la maison, sur une chaise longue, Anne lisait. J’avais déjà de beaux mensonges pour justifier mon absence, mais elle ne me posa pas de questions, elle n’en posait jamais. Je m’assis donc près d’elle dans le silence, me souvenant que nous étions brouillées. Je restais immobile, les yeux mi-clos, attentive au rythme de la respiration, au tremblement des mes doigts. De temps en temps, le souvenir du corps de Cyril, celui de certains instants, me vidait le coeur.
Je pris une cigarette sur la table, frottai une allumette sur la boîte. Elle s’éteignit. J’en allumai une seconde avec précaution car il n’y avait pas de vent et seule, ma main tremblait. Elle s’éteignit aussitôt contre ma cigarette. Je grognai et en pris une troisième. Et alors, je ne sais pourquoi, cette allumette pris pour moi une importance vitale. Peut-être parce que Anne, subitement arrachée à son indifférence, me regardait sans sourire, avec attention. A ce moment-là, le décor, le temps disparurent, il n’y eut plus que cette allumette, mon doigt dessus, la boîte grise et le regard d’Anne. Mon coeur s’affola, se mit à battre à grands coups, je crispai mes doigts sur l’allumette, elle flamba et tandis que je tendais avidement mon visage vers elle, ma cigarette la coiffa et l’éteignit. Je laissai tomber la boîte par terre, fermai les yeux. Le regard dur, interrogateur d’Anne pesait sur moi. Je suppliai quelqu’un de quelque chose, que cette attente cessât. Les mains d’Anne relevèrent mon visage, je serrais les paupière de peur qu’elle ne vît mon regard. Je sentais des larmes d’épuisement, de maladresse, de plaisir m’échapper. Alors, comme si elle renonçait à toute question, en un geste d’ignorance, d’apaisement, Anne descendit ses mains sur mon visage, me relâcha. Puis elle me mit une cigarette allumée dans la bouche et se replongea dans son livre.
2ème extrait
Il me renversa doucement sur la bâche. Nous étions inondés, glissants de sueur, maladroits et pressés ; le bateau se balançait sous nous régulièrement. Je regardais le soleil juste au-dessus de moi. Et soudain le chuchotement impérieux et tendre de Cyril… Le soleil de décrochait, éclatait, tombait sur moi. Où étais-je ? Au fond de la mer, au fond du temps, au fond du plaisir… J’appelais Cyril à voix haute, il ne me répondait pas, il n’avait pas besoin de me répondre.
La fraicheur de l’eau salée ensuite. Nous riions ensemble, éblouis, paresseux, reconnaissants. Nous avions le soleil et la mer, le rire et l’amour, les retrouverions-nous jamais comme cet été-là, avec cet éclat, cette intensité que leur donnait la peur et les autres remords ?…
J’éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l’amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l’amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m’enchantait, j’en avais parlé avant sans la moindre pudeur, sans la moindre gêne et sans en remarquer la saveur. Je me sentais à présent devenir pudique.
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